On cherche
souvent la beauté et l’inédit dans des endroits très éloignés de chez soi, comme
si la distance serait un garant pour la réussite d’une promenade. Une chose
sensationnelle à te couper le souffle, on peut pourtant la trouver dans le pays
même où tu habites, à seulement quelques kilomètres de ta maison. C’est ce qui
nous est arrivé ce dimanche de juillet, quand nous décidâmes de visiter Le
château de Jehay – Amay (la Province de Liège – Belgique).
Si tu es
curieux de connaître l’histoire des lieux, tu apprendras que ce château coquet,
vêtu d’une robe mouchetée – (mélange d’un style architectural gothique et
libanais) – bâti sur un petit îlot d’un étang naturel, conçu initialement comme
une forteresse médiévale, date du XIe – XIIe siècle, étant un exemple
remarquable de la Renaissance mosane.
Il est entré
dans le patrimoine de la famille Mérode dans les années 1492 et dans les années
1680 il devient la propriété d’une famille noble, la famille Van den Steen.
Entre 1938 et 1950 il est destiné à recevoir les enfants des chemineaux belges
de la SNCB, pendant leurs vacances d’été.
Le comte
Guy Van den Steen
(1906 – 1999), le dernier propriétaire du château, l’a vendu (par rente viagère)
à la Province de Liège qui devint ainsi la propriétaire des lieux à partir du 20
décembre 1999, la date de la mort du comte.
Le visiteur
assoiffé à la fois d’art et d’histoire, aura la surprise de découvrir un élément
inédit au Château de Jehay : le comte Guy Van den Steen est l’auteur de
nombreuses œuvres d’art (principalement des statues en bronze) qui embellissent
tant l’intérieur que l’extérieur : le parc peuplé d’arbres, de fleurs, de
fontaines et des eaux tombant en marches liquides sur des nymphes et d’autres
personnages légendaires.
Dès qu’il est
entré en possession des lieux, le comte et son épouse, la marquise Moyra
d’Ormonde, n’ont pas cessé d’ennoblir la résidence avec des précieuses collections
d’argenterie, une riche collection numismatique, des tableaux peints par des
peintres flamands célèbres, des tapisseries tissées dans des nuances vertes –
bleuâtres, des vases, meubles style baroque, dentelles et porcelaines chinoises
…).
Le comte a
habité le château jusqu’au dernier instant de sa vie, « en faisant partie des
meubles » (l’expression du guide). Les visiteurs étaient surpris de le
rencontrer dans une pièce quelconque, en surgissant devant eux comme un vrai
amphitryon prévenant, toujours disposé à donner davantage d’explications à ceux
qui auraient été intéressés par l’histoire du château. Il fut une personnalité
complexe, étant un passionné spéléologue mais aussi un amateur de promenades
montagnardes et un champion de ski très connu. Mais ce n’est pas tout ! Le comte
était également un archéologue inné, en collectionnant tout au long de sa vie
environ 22 000 pièces d’archéologie, qui sont aujourd’hui déposées dans les
caves du château. Une partie de celles-ci ont fait surface grâce aux fouilles
effectuées dans la cour même du château, ces preuves attestant le début de la
vie sur le domaine en commençant avec la période du Mésolithique.
Une fois entré dans la cour du château, dès que tu as
laissé derrière le point d’information et la Billetterie, une statue étrange
t’invite à t’approcher : “La mante religieuse”, portant sur ses ailes la
femme. Plus tu t’avances sur l’allée plus tu es attiré vers le corps nu en
métal, chevauchant le corps de l’immense insecte, dans une position voluptueuse,
frisant à la fois l’obscène et le sublime. Tu te rapproches, séduit et charmé
par les formes vénusiennes. Tu contournes la statue pour en découvrir les
détails. La femme, malgré ses charmes, t’apparaît tout à coup hideuse et
sauvage, dans son rôle d’amazone qui dirige avec l’habilité d’un jockey l’homme
agenouillé sous elle. Cet homme à la tête de sauterelle, dans un abandon total
devant ses propres sens, se laisse volontiers enchaîné et humilié. Pendant que
la femme ricane vers le voyeur, en criant satisfaction, l’homme accepte sur ses
épaules la tête de la mante religieuse qui le dévore, tandis que sa propre tête
pend quelque part en arrière, détachée du tronc, les yeux fermés.
Tous les
œuvres de Guy Van den Steen (dans la plupart des cas des nus, réalisés soit en
bronze soit en bois) représentent un hommage apporté à l’être humain, à la fois
à son corps et à son esprit, recherché dans des époques légendaires.
Les deux
vitraux qui enjolivent le hall d’entrée portent les signes du blason de la
famille Van den Steen accompagnés par deux commentaires en latin :
“Recte Faciendo Neminem Timeas" (“en
faisant le bien tu n’as personne à craindre”) si "Semper et ubique Fidelis"
(“fidèle toujours et partout”).
L’uns des murs du hall sert de support pour l’une des plus
valeureuses sculptures de l’artiste, qui a nécessité une dizaine d’années de
travail (1966-1976). Il s’agit de « “Marsyas
et les nymphes", une nouveauté dans l’art sculptural, par l’introduction de
la perspective en 3D.
“Marsyas et les nymphes" - Guy Van den
Steen (Photo AI)
Cet
œuvre est réalisée sur une surface concave, par une technique appelée « la
technique du relief progressif ». Les personnages sortent effectivement du plan
(bas relief) pour s’avancer vers le visiteur avec seulement une partie du corps
(élément qu’on trouve aussi dans la sculpture moderne contemporaine de Igor
Mitoraj).
Toujours dans
le hall d’entrée, au centre, on peut admirer une autre sculpture, posée sur une
table entre le buste de l’auteur (à gauche) et le buste de l’épouse de
l’artiste, la marquise Moyra d’Ormonde (à droite) : “Désespoir”.
“Désespoir” - Guy Van den
Steen (Photo
AI)
Tout comme autrefois Michelangelo Buonarroti, Guy Van den Steen sculptait « à la manière scientifique », étudiant avec passion, attention et méticulosité l’anatomie du modèle. “Mains en prière” fut réalisé d’après une étude approfondie de la main féminine et masculine :
“Mains en prière” – Guy Van den Steen
( Photo AI)
Chaque pièce du château porte l’empreinte du génie créateur du comte, qu’il s’agisse de sculptures, peintures, meubles ou lustres réalisés en fer forgé. Tout est vivant au château et « parle ». Deux magnifiques statues gardent les deux côtés de la porte d’entrée, en dépassant la symbolisation des personnages qu’elles incarnent : “Achille pleurant Patrocle” et “Innocence”. Au delà de l’héros de l’Iliade d’Homère, apparaît – humble, triste et résigné - le vieux, face à face avec l’innocence qui semble désormais lui être inaccessible.
“Innocence” - Guy Van den Steen (Photo AI) |
“Achille pleurant Patrocle” - Guy Van den Steen (Photo AI) |
“La
mort d’Ophélie”, une autre impressionnante sculpture, raconte dans un
morceau de bois de chêne, tout le drame shakespearien « Hamlet » (l’œuvre est
rangée sur le sol, à l’horizontale et Ophélie flotte portée par les eaux de
chêne).
En bordant
l’allée des deux côtés, des murs bas, portant sur leurs bras des eaux et des
nymphes, créent une atmosphère de paix et de rêverie. Quelques mètres plus loin,
la végétation du parc commence à raconter son histoire écrite sur des feuilles
blanches de papier, collées à l’écorce des arbres :
“Ce ne sont point des paroles inutiles qui sortent
De la bouche des arbres.
Ce sont de silencieux messages d’amour
Ce sont des cris écrits à même l’écorce »
J. Beaucarne
“Nymphe” de Guy Van den Steen
(Photo AI
« L’arbre est du temps
Qui n’en finit pas
De s’incarner »
E. Guillevie
***
« Les arbres, chemin entre terre et ciel»
J. Beaucarne
Antonia Iliescu 21 juillet 2007
Source: le guide de dimanche